Etats-Unis : vers une relance de l’énergie nucléaire (18 février 2010)



Un vent nouveau souffle à Washington : l’énergie nucléaire pourrait retrouver une certaine faveur de la part de l’Administration en place. En effet voilà que coup sur coup, en trois ou quatre jours, trois annonces ont été faites :

  1. Dans son 1er discours sur l’état de l’Union, le 27 janvier, le président Obama a indiqué qu’il fallait construire de nouveaux réacteurs nucléaires…pour l’emploi et l’environnement et qu’il fallait soutenir financièrement les énergies propres et efficaces;

  2. Sur ce, le Professeur Chu, secrétaire à l’énergie a annoncé un quasi triplement du montant du fonds de garantie alloué par l’ancien président Bush pour favoriser le financement de ces nouvelles installations, fonds toujours disponible bien qu’encore non utilisé et de facto gelé depuis un an;

  3. Le Professeur Chu annonçait enfin la nomination des membres de la Haute Commission sur la gestion des déchets nucléaires dont la création elle-même avait été annoncée il y a près d’un an.

Que de chemin parcouru en un an !

En effet, Barack Obama n’avait-il pas dit à plusieurs reprises en 2008, pendant la campagne présidentielle, que son opposition au nucléaire n’était pas « absolue » mais qu’ «il n’aimait pas le fait que (les centrales) puissent exploser, nous irradier et nous tuer. C’est cela le problème.» ? N’avait-il pas confirmé dès février 2009 que pour les déchets nucléaires Yucca Mountain n’était pas la solution sans dire quelle serait la bonne solution ? N’avait-il pas réussi, le 29 juin 2009, à prononcer un discours sur l’énergie sans même prononcer le mot ‘nucléaire’, ne parlant que d’énergies vertes et propres ?

Dans un tel contexte, différents journalistes avaient souligné à diverses occasions qu’Obama ‘atomisait le nucléaire’. Nous-mêmes, plus optimistes, avions indiqué (19 septembre 2009) que ‘l’arrivée d’une nouvelle administration démocrate contrariait certains programmes nucléaires… mais que, le temps passant, un certain réalisme réapparaitrait assez vite, les faits – là-bas comme ailleurs – étant têtus’.

L’ère du changement arrive, ne gâchons pas notre plaisir même si beaucoup reste à confirmer ! En effet des déclarations de cette nature ne deviennent applicables que le jour où elles sont inscrites dans une loi ou un budget voté par le Congrès (Chambre des Représentants et Sénat), ce qui nécessitera plusieurs mois dans le meilleur des cas.

Le Président a donc amorcé là un tournant, mais désireux de ne pas trop manger son chapeau, il a indiqué qu’il est favorable à la relance du nucléaire au nom de la lutte contre le réchauffement climatique et au moyen de centrales sûres et propres de nouvelle génération, vraisemblablement de 3ème génération sans que le terme ait été prononcé. Rappelons qu’aucun nouveau réacteur n’a été lancé depuis 35 ans et que dans les rangs de son propre parti certains rechignent déjà devant ce soutien. D’autres concessions sont faites par ailleurs, pour tenter de faire passer la loi climat-énergie, puisque est abandonnée, par exemple, l’idée de créer un marché d’émissions de gaz à effet de serre (cap and trade) qui faisait partie du programme électoral du candidat Obama et de l’année 2009.

Avec le triplement des garanties de prêts pour de nouveaux réacteurs, qui vont passer de 18 milliards à 54 milliards de dollars grâce à la future loi climat - énergie, ce sont non plus les 4 réacteurs déjà identifiés mais 11 ou 12 qui devraient pouvoir bénéficier d’un soutien fédéral, une aide très appréciable reconnaissent les électriciens encore que – il y a des grincheux partout – certains soulignent qu’un bon prix vaut mieux qu’une bonne aide ! Toujours est-il que le Président n’a pas hésité à annoncer lui-même, et en public, le 16 février que les premières garanties seraient attribuées à Vogtle Electric pour la construction de deux AP1000 (réacteur Westinghouse de 1.100 MWe) à construire à Burke, Géorgie où deux réacteurs sont déjà en service.

Indépendamment de Vogtle Electric, plusieurs électriciens s‘emploient à faire avancer leurs dossiers auprès du DOE et de la NRC alors que d’autres tentent de faire tomber certains interdits toujours en place dans tel ou tel Etat.

Pour ce qui est du troisième point, la Haute commission sur la gestion des déchets nucléaires, il ne faut guère attendre de retombées avant longtemps : certes ses membres, au nombre d’une quinzaine, sont d’anciens hauts responsables (ex-assistants d’anciens présidents, anciens sénateurs, ancien président de la NRC, chef syndical (AFL-CIO), président de compagnie électrique, universitaires de premier plan), toutefois leur mission n’est pas de définir une politique ou un programme et encore moins de choisir un site pour remplacer celui de Yucca Mountain mais de proposer, au bout de deux ans, une stratégie après avoir "passé en revue toutes les politiques de gestion du combustible nucléaire après son utilisation, dont toutes les possibilités pour stocker et retraiter les combustibles usagés et les déchets nucléaires civils et militaires". Bref un sujet extrêmement vaste à traiter par des gens, semble-t-il, plutôt favorables au nucléaire, sans être tous partisans du recyclage. Peut-être y-a-t-il là, en germe, la préparation d’un compromis avant la campagne présidentielle de 2012.

Pour un esprit français, à la fois cartésien et toujours un peu critique, il reste qu’il y a un petit mystère dans tout cela: comment peut-on vouloir relancer le nucléaire juste après avoir constaté l’échec d’une politique de 25 ans en matière de déchets nucléaires sans avoir d’idée claire sur la politique nouvelle qui devra lui succéder ?



Voyons le bon côté des choses : pour la première fois en plus de 30 ans un président démocrate approuve le nucléaire civil, même si cela est fait sans grand enthousiasme …pour l’emploi et l’environnement… espérons que les électriciens abandonneront rapidement leur réserve et en profiteront pour produire aussi de l’énergie !



Bernard Lenail



Rappel Le nucléaire civil aujourd’hui aux Etats-Unis

Puissance installée 100 GWe (104 réacteurs) soit 10% de la puissance électrique installée, mais environ 20% de la puissance électrique fournie.

Réacteurs anciens mais extrêmement bien gérés depuis une quinzaine d’années. Sans aucune nouvelle construction depuis 25 ans, l’augmentation de la production équivaut à celle de 12 nouveaux réacteurs.

Très bien entretenus et peu à peu améliorés, ¾ d’entre eux ont vu leur licence de fonctionnement prolongée de 20 ans.

Environ 75000 tonnes de combustibles usés sont en attente sur une soixantaine de sites différents.